Les productions d'EntreVoix

Kelly Hubert se réapproprie la citation de Gaston Bachelard


Dessin de Kelly Hubert

Dans le cadre du Film Documentaire "Faites le Mur", l'équipe de l'Atelier Radio s'est rendue dans les rues de Nîmes, à la recherche de 'street-art'. 

Fabien GARCIN et Nicolas AUZEBY vous ont concocté un diaporama avec une petite sélection de photos 'maison' afin de partager avec vous les trésors cachés au cœur même de la ville de Nîmes. 




Durant le mois de novembre, l'équipe de l'Atelier Radio EntreVoix de l'Artothèque Sud a participé à un atelier d'écriture animé par Rosalie SIBLESZ  sur le thème des 'Dessins du Réel'.

Cette production a donné lieu à un spécial "Gard Aux Oreilles" sur Raje diffusé le 23/11/15
entre 20h et 21h -102.5FM.


             GARD AUX OREILLES - Culture et société par et pour tous - 23 novembre 2015 by Rajeradio on Mixcloud

Retrouvez ci-dessous le texte intégral de l'émission qui vous emmène en voyage au cœur de la ville de Nîmes, lieu de rencontres improbables. 
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Voilà l’automne déjà bien entamé et tu te dis que tu as besoin de vacances, tu en as eu si peu l’été dernier. Et puis la grisaille et le froid qui arrivent te collent le blues. Mais où partir ? Vers quelle aventure ? Tu es là, rêvant, marchant sous les micocouliers qui au moindre souffle perdent leurs feuilles en tourbillons semblables à de la neige dorée, et soudain tu rencontres une jeune femme vêtue de couleurs vives, au sourire irrésistible. Elle s’appelle Mariama, elle vient d’ailleurs, d’outre-mer sans doute, elle t’invite à la suivre. Et contrairement à Monsieur Jourdain, elle ne parle pas en prose.
"Viens avec moi, partons en voyage; pour un mois, découvrir un paysage.
Dessiner la réalité, faire des reportages, apprendre une nouveauté, faisons nos bagages!
A travers le dessin, s'est tracé un chemin, lançons nous à l'aventure, pour dessiner le futur.
Rendons-nous au Carre d'Art, pour voir la projection de l'art, passons un moment magique, ce sera magnifique." 

Un voyage au Carré d’Art, à Nîmes, pour découvrir les Dessins du Réel à l’occasion du Mois du film documentaire ? Cela ne te semble pas très exotique, mais comme tu n’as pas trop de sous en ce moment, tu te dis « pourquoi pas ? En plus c’est gratuit, je n’ai rien à perdre ! ». 

D’habitude, tu choisis des destinations lointaines, pour tes vacances. Mais avoue que si tu vas chez Welcome elsewhere, l’agence en face de chez toi, c’est surtout parce que la jeune personne à l’accueil, si tu osais, tu l’inviterais bien à partir avec toi.  
Et puis, ce qui te plait dans les voyages, c’est aussi cette tension au moment de la préparation des bagages. C’est embêtant de devoir payer une surtaxe au moment du départ.

Rassure-toi, cette fois-ci c’est Fabien qui va t’aider à ne rien oublier, parce qu’un voyage au Carré d’Art, même si le bâtiment construit par Foster se trouve à quelques centaines de mètres de chez toi, ça se prépare. Et Fabien t’a concocté une check-list pour partir sans rien oublier.

"Pour la visite au Carré d'Art: Check-list! 
  • plan précis du carré d'art, avec dénivelé
  • boussole
  • bouteille d'eau
  • barres de céréale
  • chaussures de marche
  • pansements contre les ampoules
  • médicaments contre la migraine
  • pilule contre le vertige
  • pilule contre la claustrophobie
  • chewing-gum contre la mauvaise haleine
le Carré d'Art va très profondément sous terre :
  • prendre un casque de spéléo
  • et une lampe de poche, pour ses recoins sombres
le Carré d'Art a une large terrasse ensoleillée, 
  • prévoir lunettes de soleil
  • et crème solaire
  • équipement d'escalade : baudrier, corde et mousqueton de rappel, pour descendre plus rapidement du dernier étage
  • prendre un duvet, les nuits y sont fraîches
  • prendre un matelas mousse, le carrelage est dur
  • prendre coussin de maintien pour les longue séances de projection
  • boules Quiès pour le hall qui résonne
  • masque pour les yeux : avec toutes ses vitres le Carré d'Art n'a aucun volet !
cacher une partie de son argent dans sa ceinture, une autre dans ses chaussettes. Ils n'ont pas d'argent là-bas.
  • dictionnaire français \ bibliothécaire pour se faire comprendre des autochtones
  • appareil photo pour les formes et les créatures bizarres du dernier étage
  • prendre réchaud et allumettes
  • soupe lyophilisée, café en poudre, pâte de fruits, c'est un territoire aride où rien ne pousse
  • prendre l'harmonica pour les longues soirées en solitaire
les points d'eau sont peu pratique pour la toilette corporelle, 
  • prendre des lingettes
  • prendre savon pour laver le linge
  • et corde à linge pour sécher
pas besoin de livre, il y en aura sur place... "

Tu as donc préparé toutes tes affaires et cela t’a pris ton dimanche. Te voilà prêt pour ce voyage dans les hauts lieux culturels de Nîme. Il ne te manque plus qu’un coupe-ongles, parce que les ongles, contrairement au poils des pinceaux, ça pousse en un mois. Fabien n’y avait pas pensé. Et alors que tu te diriges vers la pharmacie du coin, tu rencontres une gitane, portant tatouages et piercings aux oreilles, au nez et… sans doute au nombril. (Ce serait bien son genre). Elle a des yeux bleus, hypnotiques.

Kelly, c’est son doux nom, saisit ta main que tu essaies vainement de lui reprendre, pour te dire la bonne aventure, moyennant une pièce ou un billet, selon ton bon vouloir.
"Seul dans la salle, pieds sous le bureau. Pinceaux, peinture à l’eau. Novembre qui arrive, on partira, tous ensemble au Carré d’Art. Comment t’expliquer ce que j’prévois...  Dessins sur structure en bois, bois, bois, bois.T'exposes tes dessins là-bas…"

Malgré ton énorme bagage tu décides d’aller à pied, au Carré d’Art. Tu roumègues en tirant ta valise à roulettes sur le parvis caillouteux des arènes. Est-ce un hasard : il y a là un de tes potes en grande discussion avec des jeunes syriens et syriennes qui voudraient camper là. L’anglais se mélange à l’arabe et tu n’arrives pas à comprendre un traître mot de ce qu’ils disent.
Ton copain t’attrape par la manche et t’emmène vers Souad, une femme grande, à la crinière sombre, au sourire ravageur, qui parle français avec un léger accent et qui veut absolument te parler d’un type, un artiste, dessinateur et réalisateur syrien qui a fait un film sans sortir de sa chambre.
Et toi, tu restes là à l’écouter, la bouche ouverte, fasciné.
"Dans un monde, quelque part, paralysé par l'oppression et le culte du chef ; dessiner, entre quatre murs comme un forcené pour crier haut et fort l'indicible sur un papier muet.
Un dessin, c'est un voyage mental et psychologique pour dire sans parler, crier sans voix et pleurer sans larmes.
Un dessin c'est un voyage descriptif d'une douleur sourde d'un artiste et ses proches.
Un dessin c'est la dénonciation du réel sanglant.
Un dessin c'est aussi des paroles et des images d'un peuple avide de liberté et de paix.
Le dessin ce n'est pas la fuite d'une réalité amère, c'est juste un voyage au delà du réel."

Tu te dis, comme Souad, que « Dans un navire qui chavire, le capitaine essaye de maintenir l'équipage et les passagers en vie », que le dessin  « c'est une aventure incroyable pour surpasser le réel et essayer de retrouver des repères disparus, voir introuvables. »
Et puis, après cette rencontre, tu veux à nouveau « glisser tes pas dans le réel ».
Tu t’assieds à la terrasse d’un café, en face des arènes. A côté de toi, une fille parle au téléphone, comme si personne ne l’écoutait. On ne sait pas, d’ailleurs, si elle parle à un interlocuteur ou si elle dicte une lettre.
Elle porte a son cou un médaillon en métal damasquiné où est écrit son nom de princesse orientale : Djamila.
"Sac sur le dos, boussole à la main j'ai traversé terre et mers pour vous rencontrer. Après mon long voyage, j'ai posé mes bagages dans cet hôtel tout près de chez vous. On a parlé de vos photos, des messages que vous faites passer à travers vos dessins. Votre point de vue sur tout ça reste secret tout comme votre identité. Une destination que j'ai eu plaisir à découvrir. Une culture si différente, un paysage magique, des animaux si beaux, avec un peu d'imagination on croirait que je parle du monde de Peter-Pan.
Tout ça m'a bien ressourcée. J'ai eu de la chance de rêver éveillée. 
Votre secret je vais le garder, je vous ai vu et parlé, votre identité je vais protéger. Vous resterez un inconnu que je n'ai connu qu'à travers stylo et papier."

Tu as fini par faire un crochet près de la place aux herbes pour acheter quelques douceurs chez le marchand d’épices. La marchande, Samira,  a décidé de cesser son activité, et de partir en voyage autour du monde. Mais les paprikas de Hongrie, la vanille de la réunion, le thé de la montagne bleue, les currys de Madras ou de Chennai resteront à jamais gravés dans sa mémoire. Elle rêve tout haut :
"Mon sac sur le dos, je trace mon chemin avec ma tête pleine de souvenirs, je me dis « Allez ça ira » ! J'ai été forcée de partir de chez moi où j'ai laissé tous mes souvenirs...
Le train est déjà passé et le déplacement est long. Je m'arrête dans un chemin pour me reposer et respirer l'air de la nature. Je décide de planter ma tente ici, car ma route ne fait que commencer et le paysage est joli. Je sens des odeurs parfumées d'épices lointaines je pense qu'une personne, pas très loin, cuisine. Sa cuisine doit être originaire d'Inde car l'odeur est solaire, elle m'attire vers elle... Demain je reprendrai mon chemin pour trouver d'autres paysages..."
Enrichi par cette traversée de Nîmes émaillée de rencontres tu parviens enfin sur les larges marches du Carrè d’Art. Tu allais franchir la porte à tambour automatique, mais sous ton pied tu trouve une lettre dont l’enveloppe a été ouverte. Elle est adressée à « David Epiney co-réalisateur du film Le Printemps de Sant Ponç ».
Curieux, tu lis les premières lignes, toi qui collectionnes depuis l’enfance tous les billets et les mots manuscrits trouvés dans l’espace public, comme s’ils t’étaient destinés par le hasard.
"Cher David,
Te retrouver derrière la caméra au milieu de gens que la vie a fait différents me ravit. Ton regard s'empare de leurs couleurs et de leurs traits d'aventuriers du réel - voguant sur un océan qui n'appartient qu'à eux - et ce n'est pas un vol : c'est ta vision que tu nous offres en partage.
Leur monde est étrange et nous présente une cartographie flamboyante où dansent des êtres en clair-obsur dont les pas arpentent les routes les plus imprévisibles.
Toi tu les as suivis dans ce voyage, en portant leur bagage, en le rendant léger comme un rêve... Eux pourtant englués dans un réel plus étroit que le nôtre. C'est ce qu'on pense. 
Tu as raison : le dessin, la couleur, la peinture et l'image mobile rapprochent bord à bord les paysages du monde qui nous est connu et ceux du monde où ils vivent. Ces formes et ces outils de communication créent des passerelles irremplaçables entre les êtres quel que soit le pays ou la planète où ils ont fait leur nid.
D'un réel à l'autre il n'y a plus qu'un pas. (…)"
Le texte finit par des salutations amicales.

En même temps qu’un grand coup de Mistral, tu entres dans le hall du Carré d’Art qui t’enveloppe de sa chaleur feutrée. De grandes affiches annoncent le Mois du Film Documentaire que tu attends avec impatience. Tu t’avances avec ta grande valise au milieu du hall mais un vigile te retient : « pas de grosse valise, uniquement un sac à main ici, merci de laisser vos bagages dehors ». Tu te dis que finalement, on n’a besoin de rien pour découvrir les dessins du réel, que des yeux et des oreilles bien ouverts sur le monde suffisent.

Du geste auguste du semeur, tu éparpilles sur les marches, devant le Carré d’art, le plan de la médiathèque, la boussole, la bouteille d'eau, les barres de céréale, les chaussures de marche, les pansements contre les ampoules,  les médicaments contre la migraine, les pilules contre le vertige, les pilules contre la claustrophobie, le chewing-gum contre la mauvaise haleine, le casque de spéléo, la lampe de poche, les lunettes de soleil, la crème solaire, le baudrier, la corde et les mousqueton de rappel… 

Narratrice: Françoise Lienhard.
Textes insérés (par ordre d'apparition):  Mariama M'DERE,  Fabien GARCIN,  Kelly HUBERT,  Souad SITTERS,  Djamila HOSSMAN,  Samira JELLOUL, et Françoise LIENHARD. 


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